Réussir…
Ce besoin compulsif d’aller quelque part.
Sans jamais y arriver.
La frustration de jamais être où l’on veut.
Et de toujours vouloir plus que son voisin.
Et si nos standards étaient totalement à côté de la plaque ?
Et si on se faisait une idée fausse des choses qu’on désire ?
Tout le monde semble vouloir la même chose… mais sans vraiment savoir pourquoi.
L’art de la maîtrise
Savez-vous à quel point c’est difficile d’obtenir la maîtrise d’un domaine ?
Robert Green, dans Mastery, dit qu’il faut 10 000 heures de pratique pour atteindre l’excellence.
10 000 heures… soit 417 jours.
Sauf que vous ne pouvez pas pratiquer 24h par jour.
Admettons que vous arriviez à consacrer 3h par jour à votre art… il vous faudrait alors 3 333 journées (soit un peu plus de 9 ans).
Dans un monde où tout est rapide et instantané, qui est prêt à travailler 10 ans pour devenir un véritable expert ?
Surtout que les débuts sont pleins de souffrances et de déceptions.
Quand on commence quelque chose de nouveau, on est naïf et enthousiaste.
Mais très vite, on redevient réaliste, quand on se rend compte de la masse de travail, et des difficultés qui nous attendent.
On se démoralise en se rendant compte que la majorité qui ont tenté de gravir la montagne ont échoué (et que les statistiques jouent contre nous).
La société d’hyperconsommation fait tout pour vous préserver de cette réalité difficile à accepter.
Pourquoi ?
Parce que pour vous vendre quelque chose, il faut faire croire que c’est rapide et facile.
La vente et le marketing sont à l’opposé total de cette dynamique d’effort, de patience, et de sacrifice.
Comment se vendrait un programme qui promettrait des résultats seulement après 10 années de travail acharné ?
Réponse : très mal.
Et à l’inverse : comment se vendrait un programme qui promettrait des résultats immédiats et automatiques ?
Réponse : comme des petits pains.
Tout le monde cherche le raccourci, et la méthode miracle.
Mais le secret… c’est qu’il n’y a pas de secret.
Il faut emprunter le chemin long, lent et laborieux.
Hérédité et talent
Souvent, on ne voit que les succès fulgurants, sans se rendre compte du périple.
Par exemple, on voit un artiste sortir subitement de l’ombre, sans voir le temps qu’il a passé sous la surface.
On se dit qu’il a réussi du jour au lendemain…
Mais on ne voit pas les années de travail passées dans l’anonymat et l’indifférence.
Comme pour athlète olympique : on ne prête attention qu’à sa performance au sommet de sa condition… mais jamais à ses 10 000 heures ennuyeuses et répétitives d’entraînement.
C’est encore plus pernicieux quand ceux au sommet jouent de cette ignorance.
Souvent, ils cachent l’échelle qui mène au succès, en faisant croire qu’ils ont un don spécial qui les sépare du commun des mortels.
N’était-ce pas César qui se couronnait comme un demi-dieu ?
Les monarchies du passé n’était-elles pas héritées par droit divin ?
Est-ce qu’il existe vraiment des personnes nées avec des talents innés, et d’autres nées sans ?
Quand c’est une question d’égo, tout le monde veut se sentir spécial.
Naturellement, on va alors cacher les milliers de petites marches qu’il a fallu gravir pour atteindre le sommet.
Un autre mensonge consiste à dire que le succès est une finalité en soi…
Qu’une fois arrivé à destination, tous vos problèmes seront réglés.
C’est faux.
La satisfaction se trouve dans le processus, et dans la sensation de progrès (et non dans la réalisation en soi).
Voyez ceux qui héritent de fortunes, et d’un statut social de célébrité.
Ce sont en réalité peut-être les gens les plus misérables intérieurement (même si extérieurement, ils semblent tout avoir pour être heureux).
Tout le monde les envie… sans se rendre compte que psychologiquement, ils frôlent les abysses.
Un cadeau empoisonné
Contrairement aux idées reçues, il existe des études qui montrent que les enfants issus de « milieux favorisés », ont plus de chance d’avoir des soucis d’addictions que ceux issus de « milieux défavorisés ».
L’argent permet tous les vices, et accentue toutes les perversités.
La majorité pense vouloir la facilité.
Mais ce qui forge le caractère, c’est justement l’adversité.
Dans How to Get Rich, Felix Dennis, multimillionnaire, n’oublie pas de rappeler que la fortune ne peut acheter le bonheur… et qu’elle vient aussi avec ses inconvénients :
“Never yet have I met a self-made rich man or woman whose family or personal relationships were not plagued by the burden of creating a fortune, even a small fortune.
A rocky marriage; lack of time spent with their children; the substitution of expensive gifts to repress guilt created by their frequent absences from home; the concern that their children have grown used to privilege and are consequently slacking in their education or lacking in ambition – all of these come as part and parcel of self-made wealth.
…
Children do not care if parents are rich or poor, providing there is enough money for basic essentials like food, clothing and shelter. What they care about is unconditional love.”
En réalité, les fils de riches sont souvent les plus « déformés », les plus immatures, et les plus narcissiques.
Leur ressentiment grandit à mesure qu’ils se rendent compte de leur dépendance, et de leur potentiel inexploité.
L’argent et la célébrité ne peuvent pas tout compenser.
« Que l’on cesse de se rapporter aux seuls critères de l’argent et de la puissance ! Le décisif, c’est la paix de l’âme. »
— Carl Gustav Jung – L’Âme et la Vie
C’est aussi pour cette raison que les systèmes basés sur l’hérédité ne fonctionnent pas.
Être le fils du Roi ne suffit pas pour savoir diriger un royaume (demandez à Louis XVI).
Il existe des études qui montrent qu’une entreprise reléguée à un proche, plutôt qu’a un étranger, voit sa profitabilité baisser d’en moyenne 4%.
La vie tragique des deux fils légitimes de Pablo Picasso offre un autre exemple flagrant : l’un a fini par se suicider, l’autre est mort alcoolique d’un cancer du foie.
C’est souvent un soulagement de se rendre compte que nous ne sommes pas obligé d’ériger la décadence en idéal.
Apprécier le processus
Oui, la richesse matérielle ne fait pas tout.
Mais il ne faut pas tomber dans l’extrême inverse.
« Les Pôles opposés ont une nature identique mais des degrés différents ; les extrêmes se touchent ; toutes les vérités ne sont que des demi-vérités ; tous les paradoxes peuvent être conciliés. »
Non, l’argent n’est pas la racine de tous les maux.
(C’est juste un outil que nous utilisons pour faciliter l’échange de valeurs.)
Croire que l’argent est mauvais est le meilleur moyen de l’éloigner de vous.
Désirer, ou avoir quelque chose que vous considérez mauvais, va forcément créer un conflit intérieur.
Mais les exemples précédents désignaient des richesses héritées, plutôt que des gains obtenus par la sueur de son front.
Quelle satisfaction existerait-il à gagner un jeu sans avoir à y jouer ?
Aucune.
Quand j’étais enfant, mon jeu vidéo favoris était GTA San Andreas.
Mais je n’ai jamais réussi à le finir, de par sa difficulté.
J’ai donc testé deux options.
D’abord, en jouant avec des codes de triche, et ensuite en téléchargeant une sauvegarde où le jeu était terminé à 100%.
Je me suis vite rendu compte que la triche enlevait énormément de saveur au jeu, et aux challenges proposés.
Et quant à la sauvegarde terminée… sans mission à accomplir, tout l’intérêt avait immédiatement disparu.
N’est-ce pas la même chose dans la vraie vie ?
Si vous deveniez instantanément riche et célèbre, sans effort, en trichant, et sans le mériter… est-ce que vous apprécieriez autant votre succès que quelqu’un qui respecte les règles du jeu de la vie ?
Encore une fois, la satisfaction se trouve dans le processus, et non dans le résultat final.
Comprenez donc l’aigreur de ceux qui ont toujours eu tout et tout de suite, sans jamais connaître l’adversité.
Responsabilité individuelle
Le succès véritablement satisfaisant ne vient qu’avec du temps, des efforts, et par amélioration incrémentale.
Et surtout, il n’est possible qu’en acceptant la responsabilité de ses actions, et de son destin.
Prendre ses responsabilités, c’est le début du pouvoir personnel.
Vous ne pouvez pas changer quelque chose que vous croyez héréditaire, biologique, et déterministe.
Par exemple, le QI est souvent considéré comme quelque chose d’innée, et d’inaltérable.
Aucun moyen n’a été trouvé pour l’augmenter.
C’est comme la taille, vous naissez avec sans la choisir.
Pourtant, même si de nombreuses preuves scientifiques viennent appuyer cette idée… eh bien il est aussi démontré que croire que le QI est hérité, inné, et inaltérable a un impact négatif sur vos performances cognitives. (Source.)
Le fatalisme et le défaitisme (qui sont l’inverse de la responsabilité individuelle) produisent des effets néfastes.
Tout comme le fait de croire que certains naissent avec des dons innés, et d’autres non.
C’est aussi un exemple de comment un excès de rationalisation peut être à double tranchant : être trop réaliste vous empêche de rêver, et de réaliser l’impossible.
Il ne faut pas oublier que la croyance joue aussi un rôle déterminant dans ce qu’on est capable d’accomplir.
Il y a donc un avantage certain dans l’optimisme naïf (même quand les faits objectifs poussent à être fatalistes).
La foi est une forme de pouvoir que les matérialistes envient secrètement.
En réalité, les personnes les plus misérables sont celles totalement bloquées dans leur mental, et leur intellect.
L’archétype de la plupart des grands méchants de films, sont soit des génies incompris, soit des scientifiques fous.
L’hyper-rationalisation induit une inflation de l’égo, qui se révolte contre le Soi, et la totalité psychique (c’est ce que symbolise l’histoire de la rébellion de Lucifère).
L’intelligence, si elle n’est pas canalisée à bon escient, peut dégénérer en des formes abominables.
La structure du l’esprit
L’intellect a tendance à ériger le petit moi égoïque en dieu tout puissant.
Mais la partie rationnelle de votre personnalité doit être suborné à une totalité psychique supérieure : le Soi.
Qu’est-ce que le Soi ?
On ne peut donner une réponse définitive, parce que dans la psychologie Jungienne, le Soi est l’ensemble de l’Être, et contient en lui à la fois la partie consciente, et celle inconsciente.
Et par définition, on ne peut cerner totalement l’inconscient (puisqu’il est justement inconscient).
Le mystère n’est plus quand il est révélé.
« Définir Dieu, c’est le nier. »
— Spinoza
Si on arrivait à expliquer totalement l’inconscient, il perdrait justement son essence en devenant conscient.
Quant à l’Être, c’est juste le terme laïque et séculaire qui a remplacé le mot « Dieu ».
Aleister Crowley, dans la préface de sa réédition des Clavicules de Salomon (grimoire du Moyen Âge qui servait à invoquer les esprits infernaux), explique que les 72 démons de la Goétie ne sont que des symboles qui servent à désigner certaines parties du cerveau, et de la personnalité.
Conformément à la vison de Jung, il considère les dieux, les anges et les démons comme des archétypes de l’inconscient collectif, qui habitent à l’intérieur de vous-même.
En psychologie analytique, on appellerait ça des « complexes » : c’est-à-dire des sous-personnalités, qui, mal intégrées, peuvent s’accaparer le contrôle de la totalité psychique.
Comme les démons du Moyen Âge, les complexes peuvent en ce sens vous posséder ; de la même façon qu’on peut se laisser posséder par une pulsion de colère, de gourmandise, ou d’érotisme…
Mais quand les inspirations viennent d’en haut, et qu’elles poussent à l’altruisme, au partage, et à l’humanisme… alors on dira que l’esprit qui est descendu est de nature angélique, ou divine.
C’est bien toute la beauté du système de Jung : c’est qu’il arrive à concilier les conceptions archaïques, et mystiques, avec la psychologie moderne.
Unifier la conscience
Pour en revenir à la définition de l’Être (si une telle chose est possible), il est l’entité qui se trouve au sommet de la hiérarchie psychique.
Si l’on reprend la cosmogonie du Moyen Âge, l’univers et l’homme sont régis par un ordre céleste et éthéré.
Dans ce système, il existait une hiérarchie intriquée allant des démons les plus infernaux, qui demeurent au fond des abysses… aux anges les plus purs, qui gardent le trône de Dieu.
Entre ces deux extrêmes se trouve une infinité de « grades » intermédiaires.
Si l’on reprend l’interprétation psychologique, toutes ces entités sont des complexes qui habitent de façon latente ou active votre psyché.
Et de la même façon que vos pulsions animales peuvent rentrer en conflit avec vos désirs de sociabilité… eh bien les anciens dépeignaient ce monde invisible en conflit éternel entre les forces d’en haut, et celles d’en bas.
Cette éternel guerre céleste qui oppose anges et démons se joue en réalité dans votre âme.
Pourquoi elle se déroule dans le ciel, et pourquoi ces entités ont des ailes ?
Parce que le ciel symbolise les choses qu’on ne peut toucher, et donc par extension… les abstractions de l’esprit, et les influences invisibles (comme les étoiles).
Qui est censé mettre fin à cet Armageddon ?
Le Christ… autre symbole du Soi, de l’Être, et de Dieu.
La réalisation du Soi est le principe psychologique qui est censé mettre fin au conflit intérieur qui oppose les différents complexes de la personnalité.
C’est pour cette raison qu’il est au sommet de la hiérarchie.
De cette façon, il arrive alors à intégrer et unifier toutes les sous-personnalités en un tout cohérent, qui est par défaut chaotique.
De cette façon, il ramène le royaume de Dieu sur Terre, qui est promis à la fin des temps.

Conclusion
Je sais que ce langage religieux en rebutera plus d’un.
Mais certaines réalités psychologiques sont très difficilement exprimables sans utiliser ces imageries archaïques.
En soi, le succès n’est que l’incarnation d’un idéal.
Et on ne peut exprimer correctement l’idée d’un bien absolu (tout comme celle d’un mal absolu) sans tomber dans un vocabulaire archétypal, religieux et mystique.
Si vous êtes incapable de voir la valeur métaphorique de ces histoires, eh bien bon courage pour naviguer votre existence.
Ces mythologies ont créé nos civilisations, et elles sont le terreau qui ont permis à votre conscience d’émerger.
Elles font partie de vous, et les rejeter créera forcément une division intérieure.
Elles sont votre héritage culturel, et sans elles vous être fragile comme un arbre qui n’a pas de racines.
Oui, il existe des fanatiques dans toutes les religions… mais il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie.
Vous pouvez garder votre esprit critique (c’est même essentiel).
Mais on ne peut vivre une vie décente en abandonnant toute quête de sens et de spiritualité.
Il n’est pas question d’accepter une morale dépassée d’un temps révolu.
La religiosité est avant tout un sentiment privé que vous entretenez avec la relation que vous avez avec vous-même.
« L’éthique est, en dernière analyse, une affaire individuelle. »
— Carl Gustav Jung – L’Âme et la Vie
Réussir, c’est incarner un idéal.
C’est réaliser son identité véritable.
Et l’idée de la plus haute valeur morale que notre civilisation a été capable de conceptualiser s’incarne dans le Christ.
— Geoffroy





