Qu’y a-t-il de plus agaçant qu’un idiot qui se croit plus intelligent que tout le monde ?
Combien feignent la rationalité pour servir les pulsions de leur égo ?
Pour ces spécimens, le besoin compulsif d’avoir raison leur donne l’illusion de l’autorité.
Ils croient être sages, alors que ce ne sont que de petits tyrans avides de pouvoir.
Mais ces monsieurs je-sais-tout cachent, en réalité, la plupart du temps, un terrible sentiment d’infériorité, et d’indignité, qu’ils surcompensent justement par des airs de grandeurs.
Égo et intellect
Les idiots sont pleins de certitudes, alors que les experts doutent de tout.
« La science, c’est la croyance en l’ignorance des experts. »
— Richard Feynman
Dans les années 90, deux chercheurs ont découvert un phénomène qui finira par porter leurs noms : l’effet Dunning-Kruger.
Il montre plusieurs choses.
Premièrement, que plus vous êtes ignorant sur un sujet, plus vous surestimez vos capacités.
Deuxièmement, que la réelle compétence requière une forme d’humilité, et de reconnaître qu’on ne sait pas grand-chose.
Seulement à ce stade, on peut réellement consolider son savoir.
Leurs expériences montrent aussi (contrairement à la plupart des gourous du développement personnelle) que l’excès de confiance en soi, et le fait de surestimer ses capacités, a un impact négatif sur la performance.
D’autres études montrent un effet intéressant concernant l’intelligence… ou plutôt les croyances concernant l’intelligence.
Comme je l’expliquais dans l’article précédent, le fait de croire que le QI est quelque chose d’inné impacte négativement les performances cognitives (indépendamment que ce soit vrai ou pas).
Mais cette croyance fait aussi que vous associez votre intellect à votre égo.
Si vous pensez que l’intelligence est statique et héritée… alors échouer à un test signifie que vous êtes stupide, et que vous ne pouvez rien y faire.
Vous allez alors éviter les situations où vous pourriez échouer, parce qu’un échec menacerait profondément votre sens de l’identité.
Et ce qui est encore plus pernicieux, c’est que la performance cognitive n’a plus pour but d’apprendre et de progresser… elle a pour but alors de conserver une image grandiose qu’on s’est construite de soi-même.
(Avez-vous déjà, par exemple, éprouvé de l’anxiété avant d’exécuter un test de QI… de peur de vous rendre compte que vous n’êtes pas si spécial que ça ?)
Dire à un enfant que c’est un « génie », ce n’est donc pas lui rendre service.
Les hautes sphères sont remplis de ce type d’individus qui ne supportent ni la contradiction, ni le fait d’avoir tort.
Pourquoi sont-ils si tyranniques, quand on remet en cause leurs idées ?
Parce qu’ils sont identifiés à leur intellect, et leur prouver qu’ils ont tort est insupportable pour leur égo.
Après tout, ils ont fait de grandes études, et côtoient l’élite… alors à quoi bon se préoccuper de l’avis des gueux ?
C’est aussi pour cette raison que des théories fausses peuvent être enseignées pendant des décennies, malgré les contradictions.
Quand la science devient un jeu de pouvoir, plutôt qu’une quête de vérité sincère, alors les arguments rationnels n’ont plus aucun poids.
Ce qui compte, ce n’est plus de découvrir humblement ce qui est vrai…
Ce qui compte, c’est d’avoir raison… c’est d’imposer sa supériorité, et de ne pas perdre la face.
Une façade d’expertise
Quiconque qui connait ne serait-ce qu’une once de philosophie sait qu’un argument d’autorité n’est pas une preuve valable.
C’est un sophisme fallacieux.
Ce n’est pas parce que c’est Einstein qui l’a dit que c’est vrai.
Mais pour la plupart, il suffit de dire « c’est scientifique », que ça vient de telle institution prestigieuse, ou de tel expert, pour se faire convaincre.
C’est d’ailleurs un mécanisme surexploité en politique et en marketing.
Ce n’est pas parce que le gouvernement l’a dit que c’est vrai.
C’est affligeant de voir le nombre de personnes qui se laissent berner, et qui n’ont aucun esprit critique.
Ce sont des chèvres qui suivent le mouvement.
Mais la foule a rarement raison.
Bien au contraire, l’effet de groupe déchaîne les passions les plus violentes, les plus bas instincts, et les réflexes les plus primitifs. (Voyez les manifestations de l’extrême gauche.)
L’individualité se tarit automatiquement dans la foule, qui empêche de penser par soi-même.
Tout progrès scientifique provient de la remise en question de la bien-pensance, du consensus, et de l’autorité.
La raison et le pouvoir
En réalité, la dynamique du pouvoir est même en contradiction avec l’esprit logique.
Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons.
Dans The Winner Effect, Ian Robertson décrit plusieurs effets négatifs, que peut avoir le pouvoir.
D’abord, quand il est profondément inégalitaire et tyrannique, il réprime la liberté d’expression, et empêche la circulation de l’information.
Par exemple, si votre patron est particulièrement agressif, eh bien vous aurez beaucoup moins envie de lui rapporter de mauvaises nouvelles.
On appelle ça le « mum effect », et il consiste à cacher à la hiérarchie les informations négatives (qui peuvent être cruciales), par peur de la réprimande.
Robertson, par exemple, attribue la catastrophe de Tchernobyl à cet effet.
Ensuite, l’ivresse du pouvoir met des œillères au dirigeant.
Elle rend égocentrique, et hermétique aux avis extérieurs.
Elle accentue la sensation de contrôle, au point même de la superstition.
Le dictateur finit par croire qu’il peut littéralement influencer la chance, le hasard, et même le destin de l’humanité.
Par exemple, des études montrent qu’avoir le pouvoir vous rend plus susceptible de croire que vous pouvez influencer le résultat d’un jet de dés.
Il rend optimiste, sûr de soi, et narcissique.
Sous son emprise, vous ne calculez plus les risques, et vous devenez hyper-focalisé sur votre objectif.
Vous surréagissez aussi à l’échec et à la victoire.
Et finalement, la neurochimie de votre organisme vous rend absolument certain de ce que vous pensez (chose qui est peut-être la plus néfaste à l’entreprise scientifique).
L’art du sophisme
Mais le pouvoir n’a pas que des effets négatifs… bien au contraire.
Même si c’est vrai qu’il vous rend plus borné… eh bien il vous rend aussi littéralement plus intelligent.
Pourquoi ?
D’abord parce que, comme dit précédemment, il vous met des œillères, et vous rend hyper-focalisé, et hyper-motivé.
Ensuite, parce qu’il débloque vos fonctions cognitives, en déchargeant de la testostérone et de la dopamine.
Vos niveaux de cortisol et d’adrénaline sont réduits… donc vous êtes moins stressé, et vous avez accès à toutes vos ressources.
Vous pensez plus rapidement, et vous n’avez pas peur de vous exprimer.
Votre langage non verbal devient expansif, et persuasif.
Mais si vous observez un débat politique, ou une publicité commerciale… vous verrez que la plupart des arguments ne s’adressent pas à l’esprit logique.
Donc même si le pouvoir débloque certaines facultés intellectuelles… c’est rarement la qualité du raisonnement qui convainc.
Les sophismes ont, au contraire, beaucoup plus de pouvoir persuasif.
(Un sophisme est un raisonnement fallacieux qui donne l’illusion de la vérité.)
Si vous lisez L’art d’avoir toujours raison, de Schopenhauer, vous verrez que pour gagner un débat, ou convaincre, aucun argument logique n’est nécessaire.
En réalité, la rationalité est une faculté supérieure qui ne parle pas à tout le monde.
Évolutionnairement parlant, le développement de l’intellect vient après celui de la politique, et des jeux de pouvoir.
Robert Anton Wilson appelait le circuit qui régit la politique le circuit anal-territorial, et celui qui régit la logique le circuit sémantique.
Ce dernier est encore très récent dans l’histoire de l’évolution.
Et dans les années 70, époque où la majorité de la planète était encore illettrée, il considérait que la plupart des individus étaient toujours bloqué dans cette phase de développement anal.
Ken Wilber, plus récemment, a aussi conceptualisé une telle échelle de conscience ; et dans son modèle, le stade anal semble correspondre au stade qu’il appelle « tribal ».
La plupart de l’humanité se trouve au bas de l’échelle du spectre de la conscience.
C’est donc pour cette raison que les arguments d’autorité (analité) ont beaucoup plus d’impact que les démonstrations réellement logiques.
Achats compulsifs et raisonnables
Les meilleures stratégies marketing parlent à ces différents niveaux de conscience.
Par exemple, dans Cashvertising, Drew Eric Whitman explique qu’il existe deux voies principales par lesquelles le système nerveux traite l’information.
Une voie centrale, qui fonctionne logiquement.
Et une voie périphérique, qui fonctionne émotionnellement.
Apparemment, la voie centrale est plus utilisée pour les achats onéreux.
Par exemple, pour acheter une maison, vous allez calculer (logique) votre capacité de crédit, le taux d’intérêts, l’évolution de la valeur de l’investissement dans le temps, le coût d’entretien…
La voie périphérique est plutôt utilisée dans les achats compulsifs, où l’enjeux est moindre, comme un vêtement par exemple (si vous faites une erreur de jugement dans ce cas, ce n’est pas très grave).
Les meilleurs scripts de vente commencent souvent par énoncer des arguments émotionnels, et ensuite des arguments logiques… pour ainsi couvrir tout le spectre de l’intelligence.
Mais, encore une fois, puisque l’humanité est encore majoritairement à un stade de développement intellectuel primitif… les masses semblent beaucoup mieux répondre à la compulsion (surtout que l’effet de groupe renforce les tendances primitives et animales).
Cependant, commercialement il y a un twist : c’est que le premier facteur qui prédit la réussite professionnelle est l’intelligence.
Et réussite professionnelle rime avec richesse.
Donc si vous arrivez à convaincre par la logique, vous attirez à vous les tranches de population qui ont le plus gros pouvoir d’achat.
Et comme dit précédemment, vous avez aussi plus de chance de vendre une offre chère grâce à un raisonnement logique.
Simplement dit : vous attirez des riches, à qui vous proposez des offres premiums.
Niches contre masses
Il existe deux grands types de modèles économiques pour une entreprise : les économies d’échelles, et les économies de niche.
La première consiste à brasser très large, et à toucher un maximum de tranches de population possible.
Ensuite, elle va produire en masse, et de par la taille de la production, elle va réduire significativement le coût unitaire de son offre.
Simplement dit : produire 10 voitures (ou 10 pizzas) coûte plus cher, unitairement, que de produire 100 000 voitures (ou 100 000 pizzas).
(C’est d’ailleurs pour cette raison que les petits producteurs ne peuvent être compétitifs, au niveau du prix, face à des économies d’échelles.)
La deuxième économie, celle de niche, vise une tranche démographique très restreinte (c’est ce que signifie le terme « niche »).
Elle se focalise sur un problème extrêmement spécifique, qui requière une expertise unique.
Exemple : une offre qui viserait les cadres supérieurs de l’industrie de l’aviation.
Une telle offre s’adresserait à moins d’un dixième de pourcent de la population… contrairement à une pizza qui parle à tout le monde.
Mais son avantage est qu’elle permet une bien plus grande marge, et que la concurrence est infiniment moins rude.
Vous avez donc deux grandes stratégies pour entreprendre :
- Soit vous cherchez à plaire à tout le monde, et à être compétitif sur le prix (en étant en concurrence avec des géants déjà bien implantés).
- Soit vous trouvez un segment spécifique inexploité, et cherchez à être compétitif sur la qualité (en devant un pionnier unique et irremplaçable).
Vous ne serrez jamais moins cher qu’AliExpress… alors autant privilégier la seconde option.
Servir l’élite
Dans vos messages et vos offres, vous avez deux possibilités :
- Soit vous vous adressez à l’esprit compulsif et animal.
- Soit vous vous adressez à l’esprit rationnel.
La première option attirera une masse informe et sauvage, motivée par le pouvoir, qui vit dans un paradigme infernal et compétitif.
La seconde option attirera des individus raisonnés, motivés par la vérité, qui vivent dans un paradigme supérieur et collaboratif.
Sur les réseaux sociaux, on dit souvent qu’on a la communauté qu’on mérite.
Beaucoup envient ces influenceurs célèbres qui proposent du divertissement décérébré… sans se rendre compte du prix à payer pour la corruption qu’ils répandent.
Le mythe qui dit que les stars vendent leur âme au diable, est métaphoriquement vrai (il symbolise le fait d’échanger son intégrité contre du pouvoir, et de l’argent).
Ils deviennent les marionnettes des foules.
Ils échangent leur individualité contre une façade superficielle, pour continuer à plaire à leurs fanatiques.
Ils s’emprisonnent dans un rôle, et risquent le lynchage à tout moment s’ils s’en écartent.
Les contenues qui s’adressent réellement à l’esprit supérieur et rationnel ne seront jamais aussi populaires que ceux qui exploitent les bas instincts.
Sur YouTube, par exemple, un cours de physique, ou de philosophie, fera toujours moins de vues que la dernière vidéo de Squeezie.
Les individus qui arrivent à transcender et intégrer la bête qui vit en eux sont forcément minoritaires.
Ils sont une niche.
Plaire à tout le monde, c’est plaire aux masses aliénées sans individualité, et totalement possédées par leurs bas instincts, et par la propagande du temps.
Mais vous n’avez pas à vous adressez à tout le monde, ni à sacrifier votre intégrité.
Vous pouvez cibler les personnes qualifiées pour recevoir votre message, et ainsi créer une communauté motivée par le même idéal supérieur.
Ceux qui ne raisonnent pas avec s’éloigneront d’eux-mêmes.
Conclusion
L’égo est malin.
Une de ses armes les plus pernicieuses est la rationalisation.
Il sait se déguiser en intellectualisme, en donnant l’illusion de la logique pour servir ses fins égoïstes (et politiques).
La raison est une faculté qui ne doit pas tomber sous son emprise.
Mais l’intellect n’est pas la finalité ultime du développement de la conscience.
Ce n’est qu’une étape de développement.
Ce qui se trouve au-delà est difficilement articulable, parce que la raison est intimement liée aux fonctions du langage.
On peut vaguement définir ce qu’il se trouve au-delà des mots, et de l’intellect, comme la « spiritualité ».
Mais la spéculation sur celle-ci mène souvent nulle part.
On finit par tourner en rond, sans réussir à signifier quoi que ce soit de concret, ou de compréhensible.
C’est pour cette raison que la plupart des écrits mystiques sont occultes et insondables.
Comme le pensait Spinoza, définir le métaphysique (ou Dieu), c’est le limiter et le nier.
La vraie spiritualité (celle qui n’est pas dogmatique) ne peut être « comprise », ou plutôt ressentie, que par son expérience directe, de première main… et elle est très difficilement communicable.
Comme disait Ludwig Wittgenstein dans son Tractatus logico-philosophicus :
« Ce qui peut être dit, peut être dit clairement ; et ce dont on ne peut parler, il faut le passer sous silence »
— Geoffroy





