Les mythes et les légendes contiennent un savoir qui n’est que partiellement articulé.
D’un point de vue psychologique, les grands récits symbolisent l’activité des forces inconscientes.
La mythologie utilise la même forme narrative que le rêve.
Nous nous racontons des histoires depuis la nuit des temps parce que c’est de cette façon que l’on cartographie l’inconscient et l’inconnu.
Il n’y a que les modernes pour penser que les mythologies du monde ne sont que des superstitions primitives sans valeur.
A ceux-là, nous répondons que ce sont sur ces histoires que nos civilisations se sont fondées.
L’essence même du droit, de la reconnaissance de l’individualité de chacun, et de sa liberté, sont des principes qui naissent de ces mythologies, et font qu’aujourd’hui nous vivons en démocraties.
La langue des oiseaux
Le langage de l’inconscient est celui des symboles.
Les rêves, la littérature, les fictions, les mythologies, les religions, l’art… peuvent s’analyser de la même façon.
Ils suivent tous une structure narrative.
Sur le fond, tous les récits racontent la même histoire, mais avec une forme différente.
La structure reste la même, mais les décors et personnages changent.
Par exemple, il existe un lien évident entre Sauron du Seigneur des Anneaux, et Prométhée.
L’un vole le savoir aux elfes, pour créer des anneaux de pouvoir, qu’il donnera aux hommes.
L’autre vole le feu sacré de l’olympe pour le donner aussi aux hommes.
Les deux sont sévèrement châtiés pour avoir transmis un pouvoir réservé aux dieux (aux elfes).
Pareillement, la figure de Frodon suit parfaitement le schéma narratif du héros typique de la mythologie.
Cette structure narrative a été décrite au grand public par Joseph Campbell dans Le héros aux milles et un visage.
C’est aussi un thème central de l’œuvre de Carl Gustav Jung.
Pour parvenir à l’individuation et à la réalisation de Soi, la personne doit incarner l’archétype du héros.
La démarche artistique
Il faut bien comprendre que l’artiste qui créé son œuvre n’a pas réellement conscience de ce qu’il dépeint.
Le véritable art est créé dans un état de trance où l’artiste découvre en même temps que le spectateur l’impulsion inconsciente qui anime sa main.
La créativité n’est pas un processus rationnel. Il s’agit plus d’un instinct, d’une intuition, qui permet d’appréhender l’inconnu.
Par exemple, lorsque j’écris, je ne sais pas vraiment à l’avance à quoi ressemblera le texte final. Il s’agit plus d’un processus de révélation, et d’articulation d’un savoir implicite.
La démarche artistique rend conscient les contenus inconscients.
On dit souvent, qu’apprendre c’est se souvenir de ce que l’on sait déjà. C’est parce que votre inconscient contient théoriquement l’ensemble des champs de probabilité, et donc toute la connaissance de l’univers.
Ceci étant dit, maintenant que nous en savons plus sur la « grammaire » de l’inconscient, il nous sera plus facile d’analyser l’œuvre de Tolkien.
Les anneaux de pouvoir
Pourquoi le seigneur des anneaux ? Que représente un anneau ?
Un anneau est un cercle, symbole de l’infini qui n’a ni commencement, ni fin.
C’est un ouroboros (un serpent qui se mort la queue). C’est l’état primordiale de l’existence encore non manifesté ; le chaos infini des champs de probabilité. C’est le terreau inconscient d’où émerge la conscience.

C’est aussi un signe de pouvoir porté par la royauté, la noblesse et le clergé.
L’anneau représente aussi le mariage, l’alliance, et l’union des opposés ; un état d’équilibre, d’harmonie et de proportions parfaites.
Selon la légende, 3 anneaux sont donnés aux elfes, 7 sont donnés aux nains, et 9 sont donnés aux hommes.
Ici déjà on peut trouver des correspondances kabbalistiques.
Il est explicitement dit que les 3 anneaux des elfes font références aux éléments Eau, Air, et Feu. Ici il est donc question des énergies éthériques, déjà abordées dans un article précédent.
La Terre et le plan matériel ne sont, dans plusieurs systèmes occultes, pas des éléments en soi, mais plutôt la cristallisation des plans subtiles. C’est pour cette raison qu’ils sont souvent classifiés à part.
Les 7 anneaux des nains font référence aux 7 planètes astrologiques et aux plans astraux. (Les 7 nains, ça ne vous rappelle pas une autre histoire ?)
Les 9 anneaux des hommes font référence aux neuf royaumes de l’arbre d’Yggdrasil de la mythologie nordique. C’est le même arbre que celui de la kabbale, sans le plan matériel (Malkuth).
L’histoire de la création des anneaux est une métaphore de la cosmogonie occulte.
L’anneau unique
Puis, il y a « un anneau pour les gouverner tous ».
Si l’on prend l’anneau unique plus les trois des elfes, nous passons d’un ternaire à un quaternaire.
Le passage du 3 au 4 représente un retour à une unité d’un ordre supérieur. C’est un thème obscure abordé par Jung dans Aion, mais aussi par Papus dans son Traité élémentaire de Science Occulte.
Ce passage signifie l’accomplissement du Grand Œuvre, ou la quadrature du cercle, c’est la crucifixion.
Pareillement, si l’on additionne l’anneau unique plus les 7 des nains, nous arrivons au 8 qui est aussi un symbole d’unité, d’infini et de réalisation d’un cycle.
Finalement, si l’on ajoute l’anneau unique aux 9 des hommes nous arrivons au nombre 10 qui symbolise le monde matériel cristallisé après avoir subit toutes les influences précédentes.
Si l’on ajoute l’unité au 3, et au 7, nous avons :
(3+1) + (7+1) = 12
Les 12 constellations du zodiac, qui sont une combinaison d’énergies astrales et éthériques.
Si l’on ajoute l’unité au 3, au 7, et au 9, nous avons :
(3+1) + (7+1) + (9+1) = 22
Les 22 arcanes majeurs du Tarot.
L’antéchrist
Maintenant ce qui est étrange, c’est de voir que c’est Sauron, l’archétype de Satan, qui est le détenteur de l’anneau de pouvoir.
Il existe ce concept gnostique paradoxale et énigmatique qui trace une similitude entre le Christ et le Diable.
« Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. »
— Jean 3:14
Pareillement, le serpent de la genèse, adversaire de Dieu, est celui qui révèle la connaissance aux hommes. Son rôle est très paradoxal, comme celui de Lucifer qui est un porteur de lumière mais aussi un ange déchu.
Les gnostiques ophites pensaient que le créateur de ce monde était le démiurge, une figure analogue au diable (que l’on nomme aussi « prince de ce monde »), et qui enchaine les âmes en un cycle éternel de réincarnations terrestres.
Pareillement, chez les Hindous, la déesse Kali représente la génération mais aussi la destruction… Aussi dans l’ancien testament, Jehova est un Dieu cruel et vengeur, que certains ont associés au grand dragon, le Léviathan.
Cette idée paradoxale est très clairement incarnée par Sauron qui gouverne les forces du monde représentés par les anneaux, mais qui est aussi responsable de la décrépitude de leurs porteurs et du monde.
Le Grand Œuvre
L’anneau de pouvoir est forgé dans la Montagne du Destin. Destin est synonyme de Karma. Karma qui selon la philosophie orientale doit être transcendé pour s’affranchir des cycles de réincarnation, et de la domination du démiurge.
La quête de destruction de l’anneau dans la Montagne du Destin symbolise cette transcendance des lois karmiques.
L’anneau doit être détruit par le feu. Il s’agit d’une allégorie alchimique. Le Feu est l’élément de transmutation et de sublimation des autres éléments. L’Air, l’Eau, et la Terre sont des états (solide, liquide, gazeux) qui se transforment par le feu (l’énergie).
Cette opération porte l’acronyme de VITRIOL qui signifie « visite l’intérieur de la terre et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée ».
(Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem.)
Elle sert à la création de la pierre philosophale, qui comme dans Harry Potter s’obtient en confrontant les profondeurs et les ténèbres.
Lorsqu’il est plongé dans les flammes, l’anneau révèle l’inscription synonyme de VITRIOL :
« Un Anneau pour les gouverner tous. Un Anneau pour les trouver. Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier. »
Est-ce Tolkien était familier avec ces concepts alchimiques ?
Probablement, même si chacun peut expérimenter ces symboles par l’entremise de son propre inconscient.
Ces symboles et ces histoires sont les archétypes de l’inconscient collectif que nous côtoyons tous dans nos rêves par exemple.
Comme chaque artiste, Tolkien a matérialisé des idées déjà existantes sur le plan des formes.
L’agent universel
L’anneau rend invisible celui qui l’enfile. Platon décrit aussi dans La République un certain anneau de Gygès qui rend invisible son porteur.
Être invisible signifie pouvoir agir sans que personne n’en ait la connaissance. Manipuler les forces occultes, c’est se rendre invisible.
Eliphas Levy considère l’anneau de Gygès comme un symbole du grand agent magique, qui n’est autre que la volonté.
« La volonté est le véritable anneau de Gygès ; c’est aussi la baguette des transmutations, et c’est en se formulant nettement et fortement qu’elle crée le verbe magique. Les paroles toutes-puissantes des enchantements sont celles qui expriment ce pouvoir créateur des formes. »
L’anneau est un symbole de ce que les alchimistes appellent « Azoth », et que les occultistes appellent « Lumière Astrale ».
Dogme et Rituel de Haute Magie – Eliphas Levy
Il s’agit de l’énergie qui anime l’univers. Cette une et même énergie qui peut se manifester de mille et une façon différentes.
L’anneau est le symbole de la Volonté ayant conquis le monde par la maîtrise de cette énergie.
L’analogie
On pourrait rétorquer que toutes ces analogies sont arbitraires, de la même façon que l’on croit percevoir des formes significatives dans les nuages et leurs dispositions aléatoires.
Dans ce cas, pourquoi beaucoup de civilisations isolées temporellement et spatialement partagent-elles les mêmes mythes ?
Pourquoi toutes les cultures ont des histoires de déluge ?
Pourquoi la figure du dragon est universelle ?
La réponse de Jung serait que ces contenus font partie d’une part de la psyché qui est transpersonnelle : l’inconscient collectif.
Il est arrivé à ces conclusions en analysant les rêves de ses patients, et part une connaissance approfondie de la littérature, des religions, des mythologies, et de l’alchimie.
Ce faisant, il a découvert les archétypes de la psyché et leurs terrifiantes ramifications.
Lorsque vous rêvez, par exemple, vous ne contrôlez pas l’expérience (dans la plupart des cas). Vous pensez sans avoir le contrôle de votre esprit.
Ou plutôt, quelques choses pensent en vous.
La terrible découverte de Jung est que ne vous n’êtes en aucun cas le maître de votre esprit, mais que celui-ci est susceptible d’être influencé, voire même possédé par les archétypes ; entités qui semblent avoir leur volonté propre.
Vu sous cet angle, les phénomènes de possession, si communs chez les anciens, sont des métaphores totalement valides d’un point de vue psychologique et phénoménologique.
Les archétypes ont un pouvoir de fascination. Ils sont à la fois terrifiants et dangereux, mais proposent aussi la clé du développement de l’individu.
Ils doivent être intégrés à la personnalité dans un tout cohérent.
S’ils sont refoulés ou ignorés, ils se manifesteront de façon chaotique, destructive et incohérente.
Pourquoi a-t-il toujours existé des cultes autours de ces grands narratifs ?
Même aujourd’hui, les histoires comme Harry Potter, le Seigneur de Anneaux, Batman, les Avengers, Star Wars, sont suivies par le public avec un intérêt fanatique.
Les chrétiens ont raconté pendant 2000 ans la même histoire avec toujours la même passion.
Ces mythes sont fascinants car ils répondent à la question la plus importante que l’on puisse poser.
Cette question c’est :
Comment être ?
Quelle attitude adopter face à l’existence ?
La légende répond à cette question par :
Soyez un Héros !
— Geoffroy