Il existe des moments où l’on sent comme un déclic, et où toutes les pièces du puzzle font enfin sens.
On éprouve alors la sensation d’avoir résolu une énigme.
Mais le fait d’avoir une soudaine révélation n’est pas suffisant, car on oublie tout trop vite.
C’est pour cela qu’on consomme régulièrement la même information, sous différentes formes : pour l’ancrer profondément, et confirmer nos croyances.
Tout prend du temps ici-bas, et les réels changements d’identité, et de personnalité, ne se font pas en un jour.
Souvent, ils sont tellement progressifs, qu’on ne s’aperçoit de la transformation que par rétrospective (d’où l’importance documenter ses idées).
Problèmes existentiels
Deux livres ont créé la même épiphanie chez moi :
- Maps of Meaning – Jordan Peterson,
- Flow – Mihaly Csikszentmihalyi.
Les deux sont psychologues, et arrivent à la même conclusion après 25 ans de recherche :
Le remède à la tragédie de la vie est l’intégrité, et le courage.
L’histoire est une répétition de drames.
Le chaos se manifestera tôt, ou tard, d’une façon, ou d’une autre.
Révolutions, guerres, pénuries, génocides, pandémies, et catastrophes naturelles arrivent constamment, au niveau global.
Alors qu’au niveau personnel, déceptions, trahisons, décès, violences, maladies, et mort viendront vous frapper invariablement.
Un des problèmes que j’ai avec le développement personnel, et la spiritualité « new age », est qu’ils semblent nier cette évidence.
L’univers est infiniment vide et froid. Et notre minuscule planète ressemble à une arène, pour la survie du plus fort, et du plus malin.
Il existe des individus, qui aujourd’hui, ne croient plus au mal, parce qu’ils ont toujours vécu protégés par la civilisation, et la culture.
Freud et Marx pensaient que les hommes inventaient des religions pour se protéger de leurs angoisses existentielles, et leur peur de l’annihilation.
Cela semble vrai rhétoriquement.
Mais pragmatiquement, c’est faux.
Les systèmes de valeurs (les religions) ne servent pas seulement à réguler le stress causé par les tragédies de la vie.
Ils nous protègent aussi littéralement du chaos, et de la destruction.
L’histoire du siècle dernier le prouve.
La mort du christianisme, et le triomphe du matérialisme, ont abouti aux deux guerres mondiales les plus sanglantes que l’humanité n’ait jamais connues, ainsi qu’aux régimes politiques les plus répressifs, et les plus violents, envers leurs populations.
Cycles d’évolution
Pour Auguste Comte, l’intellect individuel, et collectif, passe par 3 étapes de développement :
- Théologique
- Métaphysique
- Positif
Si l’on regarde l’histoire de l’occident, le moyen âge est une période d’intégrisme religieux, d’inquisition, et de croisades.
Ensuite vient la renaissance, qui se caractérise par le culte de la raison, la remise en cause des dogmes, et des valeurs religieuses.
Puis, les temps modernes émergent, en même temps que le pragmatisme, et l’utilitarisme.
Cette dernière étape, positiviste, ne cherche plus tant à convaincre, ou à « debunker », des doctrines.
Elle sait que la perception est relative, et que l’essence de la réalité est indémontrable, et se concentre donc sur les choses pratiques et fonctionnelles.
Ernst Haeckel, biologiste, disait que l’ontogénèse récapitulait la phylogénèse.
En termes simples : l’évolution de l’individu suit le même développement que celui des espèces, mais en accéléré.
Vous êtes le produit de milliards d’années de sélection naturelle. De l’organisme unicellulaire à l’homme, il existe des stades de développement résumés dans la vie de l’individu.
C’est vrai au niveau évolutionnaire, mais aussi au niveau civilisationnel.
J’ai traité le premier niveau ici, et j’ai observé le second en moi-même.
Je suis passé d’enfant qui accepte inconditionnellement les dogmes de sa culture. À adolescent qui remet tout en question. Pour finalement, choisir consciemment les idées qui servent mes intérêts, et ceux des autres (pragmatisme).
C’est la même chose pour les cultures : elles sont d’abord fanatiques, essentialistes, intégristes, et dogmatiques (Théologique).
Puis, comme par introspection, elles deviennent rationnelles et matérialistes, à force de buter contre leurs propres contradictions.
Finalement, se rendant compte qu’elles ont détruit les systèmes de valeurs qui sous-tendaient leurs existences, elles recréent un nouvel idéal.
C’est ainsi que la vie évolue, toujours vers des ordres de cohérence toujours supérieurs.
Les circuits de conscience
Les faits sont gouvernés par des lois, qui répondent à des principes.
Ce qui se passe au niveau évolutionnaire, culturel, ou individuel se passe aussi au niveau anatomique.
Réduit à son maximum, un circuit neuronal est composé de 3 parties :
- des dendrites,
- un corps cellulaire,
- et des axones.
1. Réception
À mesure que vous évoluez dans l’environnement, et que vous changez de niche écologique, de nouveaux circuits se forment et s’activent.
La première phase d’adaptation est la réception passive de nouveaux signaux, qu’on ne captait au stade précédent.
Dans le système nerveux, il s’agit des dendrites.
Au niveau civilisationnel, c’est la phase théologique, et dogmatique.
Au niveau individuel, cela correspond à l’enfance, et à la naïveté.
2. Intégration
Ensuite, les signaux environnementaux sont intégrés, et traité par le noyau central.
La deuxième phase correspond au stockage, à l’analyse, à la dissection, à la synthèse, et au réarrangement de l’information.
Dans le système nerveux, il s’agit des corps cellulaires.
Au niveau civilisationnel, c’est la phase rationaliste, et matérialiste.
Au niveau individuel, cela correspond à l’adolescence, à la contradiction, et à l’esprit critique.
3. Transmission
Finalement, l’information traitée est transmise au reste de l’écosystème. Et la superstructure est actualisée.
Cette troisième phase constitue le modèle de réalité que vous habitez, qui est synthétisé à partir de la précédente.
Dans le système nerveux, il s’agit des axones.
Au niveau civilisationnel, c’est la phase pragmatique, et positiviste.
Au niveau individuel, cela correspond à la maturité, et à la sagesse.
—
La même structure s’applique à la rhétorique d’Hegel, qui consiste en :
- une thèse,
- une antithèse,
- et une synthèse.
Elle est aussi valable en informatique. Vos données sont d’abord collectées, puis compilées, et finalement retranscrites.
Le positivisme
« Dans l’état positif, l’esprit humain reconnaissant l’impossibilité d’obtenir des notions absolues, renonce à chercher l’origine et la destination de l’univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s’attacher uniquement à découvrir, par l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation, leurs lois effectives, c’est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude. »
— Auguste Comte – Cours de philosophie positive.
Ce qu’il pressent en 1829 sera confirmé par l’avènement de la nouvelle physique.
La relativité prouvera que l’espace et le temps ne sont pas des notions absolues. La mécanique quantique montrera que la matière n’existe pas sans observateur ; et la théorie du chaos que l’univers n’est pas déterministe.
(Je détaille tout ces éléments dans mon livre, actuellement en cours de réédition.)
Vous ne pouvez mesurer, à la fois la vitesse d’une particule, et en même temps sa position, avec précision. C’est le principe d’incertitude d’Heisenberg.
Mais il ne s’applique pas seulement à la physique ; il concerne l’information, et la perception, en général.
La plus grande révolution scientifique, et philosophique, du siècle dernier est que le concept de « vérité absolue » représente une fraude à tous les niveaux.
« Il n’y a pas de faits, seulement des interprétations. »
— Nietzsche
Concrètement, quelle leçon pouvez-vous en tirer ?
Vos certitudes, et vos convictions, sont fausses.
Vos croyances vous trompent.
Rien de ce que vous ne pensez vrai, ne l’est véritablement.
L’essence de la vérité est inconnaissable, et les voies de Dieu sont impénétrables.
Arrêtez de chercher à avoir raison, et assouplissez vos opinions.
Pensez en termes de probabilités relativistes, plutôt que de façon absolue, déterministe et binaire.
La sémantique générale
Alfred Korzybski a créé la sémantique générale pour intégrer les paradoxes des nouvelles sciences dans le langage commun.
Une chose n’est jamais vraie, ou fausse à 100% (principe d’incertitude).
Qu’est-ce qu’un fanatique, et un intégriste ?
C’est quelqu’un qui est tellement convaincu des croyances qu’il a contractées, qu’il ne peut plus les remettre en question.
Sa personnalité est figée à un stade de développement, et il cesse d’évoluer, parce que berné par sa propre illusion sémantique.
Devenu incapable d’adaptation, le chaos fini par le submerger.
La vérité est quelque chose que l’on poursuit sans jamais pouvoir l’atteindre complétement.
Nos représentations du monde, ne sont pas ce qu’elles désignent (comme le pensait les aristotéliciens).
« La carte n’est pas le territoire. »
— Alfred Korzybski
Tous les tyrans partagent la volonté d’essayer d’imposer leurs idées, sur les autres, et le monde.
Le réel dialogue suppose la remise en question, et l’actualisation de ses croyances.
La psychorigidité crée du malheur, tandis que la souplesse encourage la créativité.
« Il n’existe pas de réalité essentielle. »
— Nick Herbert
Lorsque vous comprenez ce dilemme, propre à la perception, vous cessez de confondre vos représentations, avec les choses.
La confusion s’éclaircit, parce que l’ordre d’abstraction est rétabli.
Le résultat est que vos pensées sont plus claires, et vos relations deviennent plus fluides.
Vous êtes aussi mieux apprêté à confronter l’environnement, puisque vous êtes mieux orienté.
Les lois de l’Éthique
Ce qui précède concerne les vérités scientifiques, le domaine de la logique, et l’étude de la matière.
Le problème est lorsqu’on applique ces principes aux domaines de l’éthique.
On en vient à dangereusement prêcher le relativisme moral.
Cet élan nihiliste a créé un bain de sang mondial, qui s’est chiffré en centaines de millions de morts.
Pressentant la catastrophe, Dostoïevski prêchait un retour aux principes traditionnelles.
Aussi clairvoyant, Nietzsche pensait plutôt que l’homme devrait recréer ses propres valeurs à partir du chaos (et ainsi devenir un surhomme).
Le dilemme de ces trois derniers siècles a été de réconcilier religion et science.
Sans système de valeurs (religion) les civilisations s’effondrent.
Un système de valeurs ne se mesure pas selon sa véracité scientifique, et logique, mais plutôt selon sa capacité a créé de l’ordre à partir du chaos, et à contrer l’entropie.
En termes simple : la véracité d’une philosophie, ou d’une religion, dépend de sa capacité à produire du sens positif, et à réduire la souffrance inutile.
En ce sens, elles sont pragmatiques, parce qu’elles servent un but.
Elles sont phénoménologiques, car elles concernent l’expérience subjective, et non la réalité objective (qui est une fraude).
Finalement, elles sont positivistes, puisqu’elles ne cherchent pas à expliquer l’essence des choses.
Leur piège est de tomber dans le dogmatisme et la théologie ; alors elles deviennent invariablement tyranniques, ne remplissant plus leur fonction originale.
On ne peut croire en rien, puisque « croire en rien » est une croyance (nihiliste).
Si on est obligé de croire en quelque chose, alors en quoi avoir foi ?
En ce qui sert votre idéal, et celui des autres.
Conclusion
Le monde n’est pas fait d’atomes, il est fait de significations.
Vous êtes une machine à créer du sens.
Ce dernier peut être imposé de l’extérieur, ou généré de l’intérieur.
Les anciens pensaient qu’avant la création du monde, régnait le chaos et les ténèbres. Et que c’était le Verbe (le Logos, ou le Tao), qui imposait l’ordre et l’harmonie.
Il en est de même pour la perception : l’environnement est une masse informe et chaotique de signaux stochastiques, à partir de laquelle vous créez de la signification.
C’est un phénomène que l’on retrouve aussi dans la nature, qui a été nommé et décrit sous le terme de « structure dissipative » par Ilya Prigogine.
Ces dernières sont des systèmes qui transforment l’entropie, en y extrayant de l’énergie. Ils recyclent ainsi une force, qui aurait été autrement gaspillée.
La photosynthèse des plantes (absorption de la lumière) est un exemple d’une telle structure. La digestion en est un autre.
La maîtrise le feu est aussi un moyen d’utiliser la dissipation d’énergie de façon constructive : pour se chauffer, s’éclairer, cuisiner…
Le moteur à explosion, et les centrales nucléaires fonctionnent sur le même principe.
Notre survie dépend de notre capacité à créer de l’ordre à partir du chaos, à plusieurs niveaux.
La conscience est la structure dissipative qui anime le cosmos.
C’est l’agent qui contre l’entropie, la décrépitude, et les forces destructrices de l’univers.
Elle est l’ordre implicite qui sommeille dans les profondeurs du chaos.
Psychologiquement, une personne résiliente est quelqu’un capable de transformer l’adversité, et la tragédie, en défi, et en opportunité de croissance.
Elle peut, à souhait, tourner des événements neutres, aléatoires, ou hostiles, de façon positive.
Tôt ou tard, votre intégrité sera menacée, d’une façon ou d’une autre.
Dans ces moments-là, les seules choses qui vous restent sont le courage et la foi.
Sans ces qualités, les traumatismes désintègrent la personnalité. Alors qu’avec, ils la renforcent.
La transmutation du chaos requière de lui faire face, et de croire en la structure dissipative de l’esprit.
— Geoffroy