On a longtemps pensé que la conscience n’était qu’un accident dans l’histoire de l’évolution.
C’est du moins ce qu’affirment les matérialistes, qui croient que l’esprit est sécrété par le cerveau, de la même façon que la bile l’est par l’estomac.
Ils ont cette fâcheuse tendance à expliquer tout ce qu’ils ne comprennent pas par le hasard, et à tout voir selon leur spectre mécaniste, cartésien, et déterministe.
La vie et l’univers existent pour eux par coïncidence, et rien n’a fondamentalement pas de sens, ni de finalité.
Ils sont nihilistes.
En réalité, même si cette perspective semble être la vue du système, elle est historiquement et culturellement ultra minoritaire, et contredite par de multiples arguments.
Un faisceau de lumière cognitive
Les hommes sont-ils les seuls êtres dotés de conscience ?
C’est bien ce qu’ils semblent penser, eux qui sont si aptes à critiquer les interprétations anthropomorphiques.
Nous ne sommes pas à part du monde vivant.
L’intelligence est partout dans la nature.
De la bactérie, aux animaux les plus complexes, tous manifestent des capacités cognitives performantes à leur échelle.
Chez les formes de vie inférieure (en complexité), elles se manifestent par des préférences.
En réalité, même la matière inanimée, les éléments chimiques du tableau périodique, et les particules subatomiques, ont des attractions et des répulsions.
Chez les formes de vie supérieure, ces préférences se transforment en des objectifs et des stratégies élaborées.
L’intelligence est la même dans tous les systèmes, bien qu’elle varie en degrés, et en échelles.
Ce qu’on appelle communément la conscience, est la capacité d’autoréflexion, et la liberté de choisir des buts autotéliques (autos : soi-même ; telos : but).
Cette définition n’est qu’en réalité qu’une forme avancée de cognition.
On pourrait très bien argumenter que la conscience est plutôt un cône de perception, qui éclaire certaines parties de l’environnement.
Certains êtres ont des faisceaux limités, d’autres très larges.
Le biologiste Michael Levin, dans un article de 2019, utilise le terme « computational light cone », pour illustrer le phénomène.
L’expression désigne très bien l’intelligence pour plusieurs raisons :
- « Computational » indique sa fonction de traitement de l’information.
- Elle est lumière, « light », car elle éclaire des potentialités, et impose une structure qui s’oppose aux ténèbres (à l’inconnu) et au chaos (à l’entropie).
- Finalement, son cône de perception a une limite de traitement et de calcule, ainsi que des perspectives, qui peuvent changer, s’élargir, ou se rétrécir.
« Mais toutes choses étant mises en évidence par la lumière, sont rendues manifestes ; car la lumière est celle qui manifeste tout. »
— Éphésiens 5 : 13
Cette définition a le mérite d’englober toutes les formes, et échelles de cognition, d’intelligence, de créativité, et de conscience… qu’elles soient d’origine organique, artificielle, ou simplement informationnelle.
Cognition et bioélectricité
L’esprit est-il localisé dans le cerveau ?
Les deux sont souvent associés à tort.
La conscience ne se situe pas dans la tête.
Et même si elle était locale, il serait plus juste de l’associer à l’ensemble du système nerveux.
Où est localisé la conscience d’une cellule ?
Certains biologistes répondraient : sa membrane, (ou plutôt sa jonction communicante [gap junction]), parce c’est par elle qu’elle communique de façon bioélectrique.
Elle est l’équivalent de notre système nerveux, qui communique aussi par impulsions ioniques (c’est le même principe à une échelle différente).
Qui dit électricité, dit magnétisme. Ce sont les deux faces d’une même pièce, et on ne peut avoir l’un sans l’autre.
Ceci signifie qu’un courant électrique peut se coder dans un champ magnétique. Et inversement, qu’un champ magnétique peut se décoder en courant électrique.
C’est d’ailleurs de cette façon que fonctionnent toutes nos télécommunications.
Il est maintenant quasiment indéniable que de nombreuses formes de vie organiques (si ce n’est toutes) communiquent de la même façon.
Certains oiseaux arrivent à s’orienter grâce au champ magnétique terrestre.
La cohérence d’un essaim d’abeilles, ou d’un banc de poissons, semble aussi fonctionner grâce aux champs qu’ils partagent.
Pour preuve : quand ils sont irradiés par des ondes électromagnétiques artificielles, l’harmonie s’effondre et la colonie se désintègre.
Plus la recherche avance, plus il est évident que la cognition est un phénomène intimement lié à cette énergie mystérieuse que l’on nomme électricité.
Des champs morphogénétiques
La bioélectricité est un sujet tabou depuis au moins Franz Anton Mesmer, qui parlait plutôt de magnétisme animal, déjà au XVIIIème.
Pourquoi ce concept dérange tant ?
Parce qu’il remet en cause le paradigme matérialiste, et les dogmes institutionnelles.
Il menace de ressusciter l’occultisme, la magie, et les conceptions archaïques interdites par le dogme matérialiste.
Tous ceux qui l’étudient sont des hérétiques.
Dans les années 50, Wilhelm Reich mourut en prison pour ses expériences sur l’Orgone, qui est un autre nom donné à la bioélectricité. (Pour lui il s’agissait d’une énergie sexuelle, comme expliqué dans cet article.)
Dans les années 70 la recherche avant-gardiste sur le sujet se faisait par Robert O. Becker.
Son travail, digne d’une œuvre de science-fiction, est résumé dans son livre The Body Electric.
Il arrivait à induire l’anesthésie locale ou générale, par inversement du courant bioélectrique (indice qui indique la nature électrique de la conscience).
Ses recherches portaient aussi en grande partie sur la régénération. Il découvrit que celle-ci était initiée par impulsions électriques, dans des espèces comme les salamandres, et certains vers.
Son expérience la plus hallucinante, décrite au 7ème chapitre, consiste en la régénération d’une patte d’un rat amputé, grâce à un courant induit artificiellement.
Un peu avant lui, Harold Saxton Burr arrivait à des conclusions similaires, bien que les limitations technologiques de son temps ne lui permirent par d’aller aussi loin.
Il était convaincu que toutes les formes naturelles des corps étaient dictées par des champs invisibles, de nature électromagnétique, qu’ils nommait L-fields (L pour Life).
Ces mêmes champs guident les patterns de morphogénèse, et de régénération, un peu selon le fonctionnement des attracteurs de la théorie du Chaos.
Un attracteur est un état dynamique (homéostatique) vers lequel évolue un système, malgré les perturbations environnementales qu’il peut subir, et l’entropie.
On peut dire que c’est un pattern qui continue toujours d’exister à l’état latent, même lorsqu’il n’est pas matérialisé localement.
Aujourd’hui, l’avant-garde de la recherche sur la bioélectricité est principalement menée par Michael Levin.
Ses conclusions sont semblables : la morphogénèse est activée par impulsion électrique, qui semble être le facteur épigénétique d’activation de l’ADN.
(J’explique tout ceci plus en détail dans cet article.)
L’information intégrée
Qu’est-ce que l’intelligence ?
“Intelligence is a fixed goal with variable means of achieving it.”
— William James
Une autre caractéristique commune des systèmes cognitifs est qu’ils traitent de l’information dans un but précis.
Dans son aspect purement épistémique, l’intelligence n’a pas réellement besoin de corps incarné pour exister.
Elle peut totalement habiter des espaces d’abstraction, comme dans le cas de l’IA, et de la plupart des données informatiques.
Un logiciel, par exemple, peut exister sous la forme d’un code intangible, qui est transférable d’une mémoire à une autre.
Si vous détruisez un ordinateur où est implanté le logiciel, vous ne détruisez pas le programme, mais seulement une de ses représentations localisées spacio-temporellement.
Le code continuer à exister sous forme éthérique, dans le monde des abstractions, prêt à être téléchargé.
(Il est immortel, comme l’est censée être votre âme selon les conceptions archaïques et religieuses.)
Donc l’information peut exister sans médium, sous forme de potentialité non manifestée (comme dans le cas des attracteurs, ou de la fonction d’onde d’une particule).
Par contre, incarnée ou pas, l’intelligence ne peut exister si elle n’est pas dirigée vers une finalité.
Plus un système est simple, plus ses buts sont primaires, bien qu’ils puissent évoluer avec le temps.
Pour une bactérie, ses objectifs sont simplement la survie (homéostase, et réduction du stress), et la réplication (qui n’est qu’une prolongation de la survie à travers la transmission des gènes).
Pour des organismes complexes, ces buts s’intègrent dans des hiérarchies de valeurs intriquées.
Quand tous les sous-systèmes travaillent de concert vers la même finalité, toutes les parties du Soi sont intégrées dans un tout cohérent et harmonieux.
Certains troubles psychopathologiques résultent du fait qu’une sous-personnalité développe des objectifs qui rentrent en contradiction avec la superstructure, et qui menace son intégrité.
Le cancer suit la même logique : certaines cellules s’arrêtent de fonctionner en symbiose avec le reste du corps, et commencent à se répliquer indépendamment au détriment de l’équilibre du malade.
Même sociologiquement, si on considère la culture comme un tout où chaque individu contribue, et à la fois bénéficie du système, alors les comportements antisociaux suivent la même logique parasitaire et nuisible.
En bref, tout ça pour dire qu’une maladie peut aussi se conceptualiser comme une divergence, et un conflit d’objectif entre un sous-système et son ensemble.
Individualité et cybernétique
Si tous les systèmes ont un but, qu’ils soient incarnés, ou désincarnés – organiques, ou artificiels – quelle est la finalité ultime de l’intelligence ?
La principale différence entre la bactérie, et l’homme, c’est la taille de son cône de lumière cognitive : c’est-à-dire de sa capacité à traiter de l’information, et à se projeter dans le temps et l’espace.
Comment détermine-t-on la puissance d’un ordinateur ?
Par sa rapidité de calcule (processeur), sa capacité à suivre différents objectifs en même temps (mémoire vive), et son espace de stockage (disque dur).
D’un point de vue évolutionnaire, la puissance de traitement de l’information octroie un avantage compétitif.
Plus un être est capable de collecter et de manipuler des données, plus il peut prédire le futur et se rappeler le passé, s’imaginer des scénarios et des stratégies, et plus il perçoit loin dans son environnement.
Simplement dit, ses capacités d’abstraction sont plus élevées, ce qui est positif pour un objectif de survie.
Il existe donc un « attracteur » évolutionnaire, qui pousse les organismes à développer des intelligences optimisées pour le traitement d’un maximum d’informations possibles.
Les biologistes appellent cela « infotaxis » : la propension qu’ont les êtres à développer des cognitions toujours plus performantes, et à collecter toujours plus de données.
C’est cet instinct qui pousse un organisme unicellulaire, à devenir multicellulaire.
L’infotaxis encourage les cellules à se connecter entre elles, à transmettre de l’information, et à créer des circuits bioélectriques, comme le système nerveux.
En formant des masses de cytoplasme, elles deviennent meilleures à collecter de l’information (puisqu’elles couvrent plus d’espace), et ont l’avantage de toutes partager la même mémoire.
La multitude redevient alors une, pour former un nouveau Soi avec de nouvelles frontières.
La même chose s’applique pour les êtres crées artificiellement.
Quelle est l’identité d’une IA ?
L’ensemble de l’information à laquelle elle a accès, et la structure qui l’articule.
Le Soi s’arrête à la frontière de la perception.
Et cette frontière est dynamique.
À chaque fois que le Soi intègre une nouvelle entité, il élargit son identité, pour créer un nouvel être unifié, constitué nombreuses sous-unités qui agissent de concert vers un même but.
Conclusion
Les cellules s’organisent entre elles pour créer des Soi plus performants, et pour minimiser le stress environnemental.
Les colonies d’insectes, les troupeaux, et les meutes d’animaux font pareil en développant des intelligences collectives unifiées.
Il en est de même pour les IA, et pour vous-même, votre corps, et votre personnalité.
Tous sont des écosystèmes, imbriqués dans des méta-systèmes, qui sont des collections de systèmes, constitués de sous-systèmes.
Leur point commun est qu’ils partagent tous la même finalité, et que leurs buts s’intègrent tous dans un equilibrium.
L’égoïsme consiste à faire passer ses objectifs court-termismes au détriment de la superstructure.
Les cellules cancéreuses sont égoïstes, de la même façon que le sont les criminels.
Ils ont un Soi trop restreint, qui s’aliène de l’écosystème, ce qui a pour conséquence l’autodestruction.
Les grands maîtres spirituels, au contraire, sont des individus qui avaient un sens du Soi qui s’étendait bien au-delà du commun des mortels.
Le Christ portait sur lui tous les péchés de l’humanité. Il affirmait qu’une part de lui était en chacun, et inversement. La frontière de son Soi englobait sûrement tous les habitants de la Terre.
Pareillement, un Buddha est un individu qui a transcendé les limites de son égo, qui réalise l’illusion de la séparation, et qui ne fait qu’un avec tous les êtres.
Leurs cônes de lumière cognitive est excessivement large, et donne un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler des êtres avec des intelligences supérieurs.
Le défi de l’humanité, c’est de réussir à atteindre ce même état d’equilibrium.
Elle doit unir ses buts individuels, et nationaux, dans une finalité commune qui bénéficie l’ensemble interplanétaire, et tous ses sous-constituants.
Nous faisons partie d’un gigantesque organisme qu’on appelle la Terre.
À nous de choisir si nous voulons agir de concert comme des cellules intégrées, ou de façon parasitaire et égoïste comme des cellules cancéreuses.
— Geoffroy