Quelle est la dernière fois que vous étiez tellement absorbé par ce que vous faisiez que vous ne voyiez plus le temps passer ?
Adolescent, je pouvais passer des dizaines heures à jouer à Call of Duty.
Cette sensation de progresser, d’acquérir de nouveaux réflexes, et de nouvelles compétences, était juste addictive.
Adulte, la plupart arrêtent de jouer, et acceptent la monotonie et la fatalité de la vie et de ses responsabilités.
Ils acceptent le rôle qu’on leur a attribué passivement, pour se plaindre continuellement de leur désespoir tranquille.
Ils ont perdu cette capacité à jouer, et la satisfaction qu’elle apporte.
Pourquoi on joue
Cette sensation plaisante d’être complètement absorbé par ce que l’on fait est dû à notre mécanisme d’orientation, qui nous récompense en dopamine, pour nous indiquer que nous sommes sur la bonne voie.
Apprendre à jouer est indispensable au développement de l’individu.
C’est par le jeu que l’on apprend à interagir avec le monde.
En jouant, on apprend :
- La mobilité
- La langue (et la capacité d’abstraction)
- La sociabilité
- L’exploration de l’inconnu
Priver un enfant de jeu empiète sévèrement sur son développement.
La notion de jeu en psychologie a été beaucoup développé par Jean Piaget et Éric Bern.
Fondamentalement, on peut considérer toutes nos interactions avec le monde comme des jeux de réciprocité et de transaction.
Comment donc gagner le grand jeu de la vie ?
Le grand jeu de l’évolution
Cela fait des millions d’années que nous apprenons à interagir avec le monde naturel et social.
Dans la théorie de l’évolution, les comportements, comme les gênes, survivent ou disparaissent selon la sélection naturelle.
Le jeu de la vie s’est réitéré des milliards de fois, à travers les différents systèmes nerveux, sur des milliards d’années.
Les stratégies de survie et de reproduction les plus efficaces se sont renforcées avec le temps, et se sont ancrées dans l’individu (et l’animal) à un niveau inconscient.
La nature a créé organiquement des structures neurologiques de plus en plus complexes et sophistiquées.
Votre cerveau est le fruit de cette évolution et est donc adapté à la structure de l’existence.
On peut considérer la réalité à différents degrés. Mais d’un point de vue biologique, la réalité est ce qui est sélectionné par l’évolution. L’existence des atomes est insignifiante selon ce paradigme.
Le fait qu’un comportement soit répété sur des millions d’années est suffisant pour le considérer comme vrai.
A quoi est donc adapté votre cerveau ?
Neurologie et mythologie
Votre cerveau est divisé en deux hémisphères. Le côté gauche est spécialisé dans les tâches logiques, rationnelles, linguistique… Le côté droit est spécialisé dans les fonctions intuitives, créatives, visuelles…
Dans Maps of Meaning, Jordan B. Peterson explique que nous sommes adaptés à deux environnement :
- le connu
- l’inconnu
Nous avons deux modes opératoires qui sont reliés aux deux hémisphères.
L’un sert à évoluer en territoire conquis et sûr ; l’autre sert l’exploration et l’appréhension des territoires inconnus.
Ce sont les deux polarités fondamentales de l’existence d’un point de vue phénoménologique mais aussi énergétique.
Les taoïstes pensent que Qi (l’énergie primordiale abordé précédemment) se divise en Yin et Yang pour créer le monde.
Ces deux substances, s’opposant et se complétant, forment la vie par le couple homme-femme, conscience-inconscience, ordre-chaos, positif-négatif, connu-inconnu, jour-nuit, lumière-ténèbres…
La structure du système nerveux reflète cette structure, notamment par la latérisation cérébrale.
Donc premièrement, votre cerveau est adapté à cette dichotomie présente partout et en tout. (Correspond au premier circuit dans le modèle des 8CC)
Deuxièmement, en territoire connu votre système nerveux est adapté aux systèmes hiérarchiques.
La grande hiérarchie
Les systèmes hiérarchiques en arborescence sont une autre structure fondamentale de l’existence.
Les arbres, vos poumons, votre système nerveux, la foudre, les formes naturelles, les figures mathématiques de Mandelbrot… suivent toutes cette structure hiérarchique.
Nos relations avec autrui suivent aussi cette structure.
Vous avez un mécanisme dans votre cerveau qui traque à chaque instant votre statut social, et qui vous récompense en sérotonine en fonction de celui-ci.
Cette structure existait déjà il a environ 500 millions d’années (avant qu’il y ait des arbres sur terre). Il s’agit du 2ème circuit selon le modèle des 8CC.
La politique chez les primates
Les luttes de pouvoir et de politique existaient déjà chez les premiers vertébrés qui se disputaient aussi des territoires. Contrairement à ce que pensent beaucoup d’utopistes aujourd’hui, ce n’est pas une spécificité unique à l’homme. (La violence est féroce dans la nature.)
Contrairement aux idées reçues, cette hiérarchie n’est pas entièrement basée sur le pouvoir tyrannique et la domination violente.
Elle est principalement basée sur la compétence. Celui à la tête de celle-ci est quelqu’un favorise la vie et la reproduction du groupe et de l’individu. C’est un échange basé sur la réciprocité.
(Un Leadership qui conduit à la mort et à la dissolution du groupe ne peut survivre à la sélection naturelle.)
La théorie des jeux montre que la stratégie la plus efficace est celle que l’on appelle Tit for tat. Celle-ci consiste à être altruiste et à coopérer, mais aussi à punir les comportements antisociaux et la triche, quand ils se manifestent. C’est la stratégie qui est la plus favorable, au plus grand nombre, sur le long terme.
Nous jouons littéralement à Tit for tat depuis des millions d’années, et les meilleurs à ce jeu se trouvent en haut de la hiérarchie sociale.
Maintenant, les hiérarchies peuvent bien sûr dégénérer, et se transformer en despotisme temporairement. Mais la tyrannie est un règne instable qui ne peut durer dans le temps, même chez les primates.
Les tyrans ont tendance à être éliminé par les révolutions et la sélection naturelle. La diplomatie et la démocratie sont des façons de régner plus stables, durables et sûres pour tout le monde.
Nature et Culture
Voici donc les deux grandes structures qui forment les règles du jeu de la vie : la nature et la culture.
Nous triomphons de la nature en construisant des cultures. Puis nous triomphons de la culture (et de l’aliénation qu’elle produit) par le retour à la nature dans un cycle dans fin.
Les anciens dépeignaient les grands gagnant du jeu de la vie comme des héros (et des dieux) en harmonie avec ces cycles générateurs et destructeurs.
Ces héros ont en communs d’avoir prouvé leurs capacités à confronter l’inconnu et en tirer de l’ordre.
Ils sont explorateurs et bâtisseurs. (Ils sont aussi les révolutionnaires et les martyrs en temps de tyrannie.)
Vers la victoire
Il existe deux grandes façons d’échouer :
- Ne jamais explorer l’inconnu par peur du danger
- Ne jamais rien construire
Quand vous êtes en mode « flow » (l’état d’absorption totale dans une activité), c’est que vous êtes en territoire inconnu, et que vous êtes en train d’apprendre quelque chose qui s’intégrera à votre personnalité.
L’inconnu est terrifiant, sa dangerosité et sa mortalité sont réelles.
Mais celui-ci est appréhendable par le courage et la confrontation volontaire.
La seule façon de ne pas succomber au chaos lorsqu’il se manifeste est d’y faire face.
C’est ce que représente l’histoire du chevalier tuant un dragon. Ce dragon cache un trésor.
Ce trésor représente les bénéfices que l’on tire d’une telle attitude : richesses, paix, harmonie et ordre.
Sur la structure des jeux
Précédemment, nous avons traité des hiérarchies de valeur.
Nous avons vu que celles-ci permettaient de vous orienter dans le monde, et que c’est elles qui donnaient un sens à l’existence.
Poursuivre un idéal, et la réalisation de ses objectifs, peut être appréhendé comme un jeu.
Les jeux vidéo, ou le sport, proposent tous des objectifs arbitraires à réaliser, avec un cadre de règles tout aussi aléatoires.
La sensation de gagner au jeu et de progresser vous donne du plaisir. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons :
- Progresser vers un idéal sécrète de la dopamine. (Même lorsqu’il est aussi insignifiant que de mettre un ballon dans une cage de foot, ou de mettre un headshot dans Call of Duty. Bizarrement, Même le simple fait de regarder son équipe favorite jouer fait le même effet.)
- En plus d’accomplir un objectif particulier, vous développez votre capacité à résoudre des problèmes.
- En plus de grimper une hiérarchie de valeur particulière, vous devenez meilleur à grimper l’ensemble des structures hiérarchiques.
- Vous devenez un être humain plus efficient, plus mobile, plus social, plus intelligent, plus fort.
- Vous acquérez du statut social et êtes récompensés en sérotonine.
- Vous rencontrez de nouvelles opportunités, et de nouvelles personnes qui vous invitent à jouer à d’autres jeux.
- Vous vous rendez plus désirable sur le marché des relations.
L’héroïsme
Le héros mythologique est celui qui est capable d’évoluer rapidement au sommet de l’ensemble des hiérarchies.
Il ne joue pas à un jeu spécifique, il joue le « méta-jeu ».
Il a compris les grandes structures et règles du jeu de la vie, ce qui le rend potentiellement bon dans tous les domaines.
Il n’a à présent plus qu’à choisir à quoi il veut jouer, et très bientôt il sera déjà au sommet. Seul le temps le limite dans ce qu’il peut désirer et accomplir.
Le héros est aussi celui qui crée l’ordre à partir du chaos.
Par vos capacités d’abstraction, vous donnez un sens à l’existence. Vous créez votre propre jeu, votre propre hiérarchie, votre propre structure.
N’importe quelle structure est toujours mieux qu’aucune structure.
Sans un toit, on ne peut survivre dans la nature.
C’est pour cette raison que l’on aime l’esthétique et la symétrie, et que nous sommes capables de détecter des patterns.
Vos structures doivent être assez rigides pour supporter la pression, mais assez flexibles pour s’adapter aux imprévus.
La morale comme mécanisme d’orientation
Si vous écoutez votre Conscience, vous saurez précisément à quel moment vous déviez du chemin qui mène à la victoire.
À chaque fois que vous mentez, que vous agissez avec bassesse et lâcheté, votre Conscience vous tourmente selon la gravité de vos actes.
Continuez à pêcher contre Elle et vous vous créerez un enfer et une inconscience de plus en plus profonde.
On devient ce que l’on pratique.
L’habitude de la mesquinerie devient un poison insupportable qui endommage la personnalité.
Personne n’aime les tricheurs, y compris les tricheurs eux-mêmes.
Celui qui passe son temps à mentir aux autres fini par se convaincre de ses propres mensonges. Son jugement s’altère avec la réalité, et il devient incapable de discerner le vrai du faux.
Son inconscience grandissante est un mécanisme de défense qui finira bientôt par l’engloutir.
La morale n’est pas quelque chose de totalement arbitraire. Elle n’est pas non plus le conformisme, car parfois elle indique d’aller à l’encontre des foules.
La morale est un sens, forgée par l’évolution et l’itération, qui nous indique si ce que l’on fait est cohérent avec notre idéal de vie.
Bien que cet idéal puisse varier, dans les détails, d’un individu à un autre, ses grandes lignes restent les mêmes pour tout être vivant.
Suivre sa félicité
Dans les jeux vidéo, il existe le plus souvent une quête principale et des quêtes secondaires qui vous aident à progresser.
Dans le jeu de la vie, on peut considérer votre quête principale comme l’idéal que vous chercher à atteindre. Les quêtes secondaires sont les actions concrètes qui vous aident à réaliser votre objectif principal.
Ce qui rend un jeu plaisant, c’est la sensation de progression qu’il procure (dopamine).
Si à chaque action que vous entreprenez, vous savez qu’elle sert une hiérarchie de valeurs et d’objectifs, alors vous faite de toutes vos actions un jeu amusant à jouer, et un défi à relever.
La principale différence entre les jeux vidéo et le jeu de la vie est que c’est vous qui fixez l’idéal à atteindre.
C’est à vous de visualiser un futur désirable et à travailler pour l’accomplir.
Les plaisirs de l’oisiveté, de la gratification instantanée, de l’hédonisme et des paradis artificiels ne durent qu’un temps, et se payent très cher sur le long terme.
C’est par le travail que l’on vit une vie satisfaisante, bien remplie, qui mérite d’être vécu malgré les tragédies et l’adversité.
La plupart n’ont soit pas de but dans la vie, soit ils acceptent le but et le rôle qu’on leur attribue. Leur mécanisme d’orientation (dopamine) est inactif, d’où le vide ressenti par ces personnes.
Se fixer un objectif et travailler à l’accomplir, c’est suivre son « Dharma », c’est accomplir sa « Volonté ».
Do What Thou Wilt Shall Be The Whole Of The Law.
Aleister Crowley – The Book of the Law
— Geoffroy